CHAPITRE XIX - Bon vieux Dagobert !

 

 

Paule dormait profondément et un ronflement régulier sortait de ses lèvres. Les coups de pattes et les jappements de Dagobert l'éveillèrent en sursaut.

«  Qu'y a-t-il? » dit-elle effrayée en s'asseyant sur le lit et en cherchant à tâtons, les doigts tremblants, l'interrupteur de sa lampe de chevet. La lumière jaillit et elle vit Dagobert qui fixait sur elle de grands yeux suppliants.

« Tiens, Dagobert! dit-elle étonnée. Dagobert? Que fais-tu ici? Est-ce que les autres sont revenus? Non, c'est impossible. Pas eh pleine nuit. Pourquoi les as-tu quittés, Dagobert?

— Ouah! ouah! » dit Dagobert pour lui faire comprendre qu'il apportait un message. Paule lui caressa la tête et brusquement elle aperçut le papier attaché à son collier.

« Qu'est-ce que c'est que ça? dit-elle. Un papier? Ce doit être une lettre. »

Elle prit le billet et lut : Nous sommes prisonnières. Suivez le chien; il vous conduira à nous et vous pourrez nous libérer. Claudine.

Paule resta stupéfaite; elle regarda Dagobert qui remuait la queue avec impatience, puis relut le billet. Ensuite elle se pinça pour s'assurer qu'elle ne rêvait pas.

«  Aïe! Je suis bien réveillée, dit-elle. Dagobert, qu'est-ce que c'est que cette histoire? Claude et Annie prisonnières? De qui? Oh! Dagobert, quel dommage que tu ne puisses pas parler! »

Dagobert était bien de cet avis. Sa patte tapotait énergiquement le drap. Soudain Paule vit la plaie qu'il avait à la tête et fut horrifiée.

«  Tu es blessé, Dagobert? Mon pauvre vieux, qu'est-ce qu'on t'a fait? Tu as besoin d'être soigné. »

Dagobert souffrait beaucoup, mais ce n'était pas à lui qu'il pensait. Il gémit et courut vers la porte.

« Oui, je sais que tu veux que je te suive… Mais il faut que je réfléchisse, dit Paule. Si M. Girard était là, j'irais le consulter. Mais il est absent jusqu'à demain, Dagobert. Et Mme Girard aurait peur si je la réveillais. Je ne sais que faire.

— Ouah! ouah! dit Dagobert avec mépris.

— C'est très bien de dire « ouah! ouah! », protesta Paule. Mais je ne suis pas aussi courageuse que toi. Je fais semblant, Dagobert; en réalité, je ne suis qu'une poltronne. Je n'ose pas te suivre. Qui sait ce qui m'arriverait? On m'enfermerait peut- être avec Claude et Annie. Et le brouillard… As-tu pensé au brouillard, Dagobert? »

Paule sortit du lit et Dagobert reprit espoir. Cette sotte allait-elle enfin se décider à le suivre?

« Dagobert, il n'y a pas de grandes personnes ici cette nuit, excepté Mme Girard, et je ne peux pas la réveiller, dit Paule. Elle travaille tant toute la journée! Je vais m'habiller et j'irai chercher Pierre. Il n'a que onze ans, je le sais, mais il est très raisonnable et c'est un garçon. Il saura ce qu'il faut faire. Moi, malgré mes cheveux courts et mes shorts, je ne suis qu'une fille. »

Elle s'habilla rapidement et traversa le palier. Pierre avait une chambre pour lui seul. Paule entra et donna la lumière.

« Qu'y a-t-il? demanda Pierre en s'asseyant sur son lit. Que veux-tu?

— Pierre, expliqua Paule, il m'arrive une chose extraordinaire. Dagobert m'apporte un billet attaché à son collier. Lis-le. »

Pierre lut le message et l'examina attentivement.

« Regarde, dit-il. Claude a signé Claudine. Cela prouve que son appel est très urgent. Jamais elle ne permet qu'on lui donne son nom de fille. Il faut suivre Dago sans perdre une minute.

— Mais je ne pourrai pas traverser la lande avec ce brouillard, protesta Paule. Ce serait impossible de marcher.

— Tu n'en auras pas besoin. Nous irons à cheval, dit Pierre d'un ton de grande personne. Dagobert nous montrera le chemin. Va vite seller les chevaux pendant que je m'habille. Dépêche-toi, Paule, les autres sont peut-être en danger. Qu'est-ce que tu attends? Tiens, tu n'es qu'une Paulette! »

Piquée au vif, Paule courut aux écuries. Quel malheur que M. Girard fût absent cette nuit-là! Il aurait pris toutes les décisions.

Le courage lui revint pendant qu'elle sellait les chevaux, étonnés d'être réveillés, mais toujours prêts à rendre service. Pierre la rejoignit quelques minutes plus tard. Dagobert l'accompagnait. Il aimait autant le jeune garçon qu'il détestait Paule. Conscient de sa tâche, il prit les devants pour guider les jeunes cavaliers. Paule et Pierre s'éclairaient avec leurs lampes électriques et ne perdaient pas Dagobert de vue. Le chien impatient courait de toutes ses forces, mais s'arrêtait de temps en temps pour attendre les chevaux. Il n'avait pas besoin de suivre la voie ferrée. Il savait très bien où il allait. Tout à coup, Paule et Pierre, étonnés, le virent faire une longue pause, la tête levée, les narines palpitantes. L'air brumeux lui apportait une odeur familière. Sûrement François et Michel n'étaient pas loin. Il eut envie d'aller à eux, mais Claude et Annie l'attendaient; il ne pouvait faire un détour…

Les garçons, en effet, étaient tout près, blottis au milieu d'un buisson et tremblaient de froid. S'ils avaient su que Dagobert passait aux alentours avec Paule et Pierre! Mais comment l'auraient-ils deviné?

Dagobert poursuivait son chemin sans hésitation. Il contourna la carrière invisible dans le brouillard et se dirigea vers la colline. Quand il s'approcha du campement des gitans, il ralentit sa marche et les enfants furent aussitôt sur leurs gardes.

« Nous touchons au but, chuchota Pierre. Mieux vaut que nous descendions de cheval, tu ne crois pas? Il est plus prudent de ne pas faire de bruit.

— Oui, oui, Pierre », approuva Paule qui admirait de plus en plus la sagesse du jeune garçon. Ils mirent pied à terre et attachèrent leurs montures à un bouleau.

Ils étaient maintenant tout près de la colline qui abritait le campement des gitans. Là le brouillard était moins épais; ils aperçurent une roulotte éclairée par la lueur d'un feu.

« Attention, chuchota Pierre. Dagobert nous a menés chez les bohémiens. Je n'en suis pas surpris. Ce sont donc eux qui gardent Claude et Annie prisonnières. Ne fais pas de bruit en marchant. »

Dagobert haletait et sa tête lui faisait de plus en plus mal, mais il n'avait qu'une seule idée : rejoindre Claude.

Il les mena à l'entrée du souterrain. Paule et Pierre le suivaient au comble de la surprise. Comment Dagobert pouvait-il retrouver son chemin dans ce dédale de couloirs? Mais Dagobert n'avait pas la moindre hésitation; son flair le guidait. Mais maintenant il avançait péniblement et tremblait de tout son corps. Quel soulagement s'il avait pu se coucher et poser sa tête douloureuse sur ses pattes. Mais non, Claude l'attendait. Claude avait besoin de lui…

Allongées sur le sable, Claude et Annie dormaient d'un sommeil agité et peuplé de cauchemars. Un bruit de pas éveilla Claude. Etait-ce Castelli qui revenait? Elle se hâta d'enrouler les cordes autour de sa taille. Mais un halètement bien connu la fit tressaillir et elle alluma sa lampe électrique.

Dagobert était affaissé à ses pieds, et Paule et Pierre pénétraient dans le souterrain. En voyant Claude et Annie, le pilier et les cordes, Paule resta clouée sur place.

« Oh! Dagobert chéri, tu es allé chercher du secours! s'écria Claude en lui posant les bras autour du cou. Oh! Paule! je suis si contente de te voir. M. Girard n'est pas avec toi?

— Non, il est absent, répondit Paule.

 

Mais Pierre est ici. Nous sommes venus à cheval; Dagobert nous a guidés. Que s'est-il passé, Claude? »

Annie se réveilla et sa surprise fut grande en apercevant les visiteurs. Les quatre enfants entamèrent une discussion rapide. Pierre prit les décisions.

«  Si vous voulez vous évader, il faut profiter du sommeil des bohémiens, dit-il. Dagobert nous aidera à sortir des souterrains. Sans lui nous ne pourrions jamais retrouver notre chemin. Dépêchons-nous !

— Viens, mon vieux Dago », dit Claude en le secouant doucement.

Mais Dagobert se sentait très mal en point. Un nuage flottait devant ses yeux. La voix de Claude lui paraissait très lointaine. Sa tête était lourde comme du plomb et ses pattes refusaient de le porter. La fatigue de la course précipitée dans la lande s'ajoutait aux effets du coup qu'il avait reçu.

« Il est malade! s'écria Claude affolée. Il ne peut pas se lever! Ohl Dagobert! qu'est-ce que tu as?

— C'est cette blessure à la tête, dit Pierre. Elle est très profonde et ce long trajet l'a achevé. Il ne pourra pas nous guider, Claude. Nous sommes réduits à nos propres ressources.

— Oh! pauvre Dagobert, sanglota Annie, terrifiée de voir le chien étendu sur le sol. Claude, peux-tu le porter?

— Je crois, dit Claude, et elle le prit dans ses bras. Il est terriblement lourd, mais je m'en tirerai.

L'air le ranimera peut-être quand nous serons dehors.

— Mais comment sortir d'ici? demanda Annie. Si Dagobert ne nous guide pas, nous sommes perdus! Nous ne trouverons jamais une issue.

— Il faut tout de même essayer, déclara Pierre. Venez… je passerai le premier. Nous ne pouvons pas rester ici. »

Il s'engagea dans un couloir; les autres le suivirent. Claude .portait Dagobert. Bientôt Pierre arriva à une bifurcation et s'arrêta.

« Oh! mon Dieu! Faut-il prendre à droite ou à gauche? »

Personne ne le savait. Claude promenait çà et là le rayon de sa lampe électrique et s'efforçait de rassembler ses souvenirs. Soudain elle aperçut deux bâtons, un long et un court qui formaient une croix. Elle poussa un cri.

« Regardez! Un signe de piste. C'est Mario qui l'a disposé à notre intention. Il faut que nous prenions le couloir indiqué par le plus long bâton. J'espère qu'il y en aura d'autres aux endroits difficiles. »

Ils tournèrent à droite et continuèrent; leurs lampes électriques jetaient de longs rayons dans l'obscurité… Partout où ils auraient pu se tromper, ils trouvaient un signe de piste, un message laissé par Mario pour leur montrer le chemin.

« Une autre croix… Il faut passer par là, dit Annie.

— Et maintenant nous tournons de ce côté! » s'écria Claude quelques instants plus tard.

Ils arrivèrent ainsi à la fin des passages souterrains. Le brouillard leur souffla son haleine en plein visage et ils respirèrent avec délices l'air de la liberté.

« Allons retrouver les chevaux, dit Pierre. Il faudra qu'ils portent deux cavaliers chacun, j'en ai peur. »

Ils approchaient du but quand des jappements bruyants donnèrent l’alarme.

« Les chiens nous ont entendus, dit Pierre désespéré. Vite! Courons! »

Une voix autoritaire cria : « Je vous vois, là-bas, avec vos lampes électriques. Arrêtez-vous tout de suite! Vous m'entendez? Arrêtez-vous ! »